mercredi 12 février 2014

Max De Vries, le résistant et éternel rebelle, a 100 ans




Que je lui demande de m’accompagner à la présentation du livre de Peter Mertens, de venir témoigner pour des syndicalistes, de participer à une commémoration de Julien Lahaut à Seraing, de figurer sur la liste du PTB+ pour les élections ou simplement d’aller boire une verre à la réception de Nouvel-An du PTB du Limbourg, sa réponse est invariablement : oui. Si les jambes ont désormais parfois du mal à suivre, la volonté, elle, reste inoxydable. Tout comme sa combativité et sa vivacité, identiques à celles du gamin qu’il fut il y a bien longtemps...

 

Vouloir comprendre le monde

Avec Frans De Maegd, auteur de nombreuses vidéos pour le PTB, j’ai passé de nombreux après-midis chez Max De Vries, dans sa maison à Wellen, dans la Hesbaye limbourgeoise. Nous y avons tenu de longues conversations sur sa vie de partisan durant la Deuxième Guerre mondiale et sur son engagement politique de toute une vie. Max est un conteur passionnant et talentueux, clair dans son témoignage et prodiguant une abondance de détails intéressants, comme si les événements dataient de la semaine précédente.
    Max De Vries est âgé de 8 mois lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale. Son père est marchand de bétail à Wellen. Enfant, il a vu apparaître la première bicyclette dans le village. A l’époque, à peu près tout et tout le monde est catholique en Flandre, et certainement dans le Limbourg. Mais la foi catholique de l’enfant est mise à l’épreuve lorsque, à l’âge de 12 ans, il découvre dans son village l’hypocrisie de l’Eglise. « J’ai vu un cercueil être amené au cimetière, sans prêtre, seulement suivi par un enfant, se souvient-il. La défunte s’était suicidée et devait donc être enterrée sans bénédiction. Quelques mois plus tard, quelqu’un d’autre a mis fin à ses jours. Mais, cette fois, il s’agissait d’un gros propriétaire terrien. Lui, il a eu droit à une messe d’enterrement avec sept prêtres et beaucoup de tralala… C’est alors que j’ai abjuré ma foi. »
    C’était le début d’une vie de lutte farouche contre l’injustice et l’inégalité sociale. Les situations injustes ont éveillé sa curiosité et, désormais, Max lit tout ce qui lui passe sous les yeux. Après ses humanités au collège de Borgloon, il part étudier les mathématiques et la physique à l’Université de Louvain. Nous sommes alors au milieu des années 1930 et la crise bat son plein. Il apprend aussi tout ce qu’il peut sur le sujet : « Je lisais des livres, des magazines, des journaux, Le Drapeau Rouge, l’organe du Parti communiste belge (PCB), mais aussi Der Völkische Beobachter, le journal du parti nazi allemand. Je voulais comprendre le monde et en même temps combattre l’injustice, et c’est comme ça que je suis tombé sur Marx et Lénine. » Max poursuit : « J’ai vécu la grande crise de 1928 à 1932, avec les 6 millions de chômeurs en Allemagne, avec toute cette misère, ce malheur, les soupes populaires… Mais je suivais aussi ce qui se passait alors en Union soviétique : 1928-1932, c’était la période du premier plan quinquennal. En Europe, il y avait deux mondes qui se faisaient face. A l’Ouest, il y avait le chômage, la crise, la misère, le capitalisme ; en Union soviétique, à la même époque, l’industrie a été développée à un tempo rapide, et ce pays agraire et pauvre, avec une majorité d’analphabètes, s’est rapidement transformé. »

 

Communiste

« En 1934, par opposition à la société capitaliste, je me suis inscrit au PCB. J’étais entré en contact avec les dirigeants du parti à Louvain. Dans ma chambre, il y avait la machine à stencils, qui a d’ailleurs servi à tirer les tracts de la grande grève générale de 1936. » Max aidait à rédiger les tracts, et sa chambre d’étudiant du pensionnat à Louvain était devenue une petite imprimerie clandestine. L’activité a cependant été découverte par la police qui a effectué une descente dans la chambre de l’étudiant… dont la période louvaniste s’est alors immédiatement terminée. Communiste à l’Université de Louvain, voilà qui était tout bonnement impossible à l’époque.
    Max continue ses études à l’Université de Liège, où il rejoint un groupe d’étudiants communistes. Ces années-là, la guerre civile d’Espagne fait rage, et il participe à l’accueil et à la prise en charge en Belgique des enfants de combattants espagnols républicains. Il se rend aussi à vélo en villégiature à La Panne avec une petite tente, et constate le résultat des premiers congés payés. De nombreuses familles de travailleurs français viennent pour la première fois de leur vie profiter d’une semaine de vacances à la mer…

 

Chez les partisans

En 1940, il est mobilisé dans l’artillerie de l’armée belge et participe à la campagne des dix-huit jours. Il est fait prisonnier de guerre et atterrit à Terneuzen, où il peut effectuer son service dans la cuisine. C’est en rusant qu’il arrive à pouvoir rentrer chez lui. Au dirigeant allemand du camp, il dit qu’il est considéré par le gouvernement belge comme dangereux pour l’Etat. « Communiste ou nationaliste ? » lui demande l’Allemand. « Nationaliste », ment-il. Et le voilà autorisé à s’en aller. Il part à vélo vers Maastricht où il a laissé sa femme, puis retourne chez lui à Wellen. Là, il s’interroge : que faire désormais ? « J’étais un antifasciste convaincu. Que devais-je faire ? Etre un spectateur passif ou entrer dans la lutte ? » A Tongres, il recherche le secrétaire de la section du PCB, qu’il connaissait par l’aide du Secours rouge international. A deux, ils décident de mettre sur pied une organisation de résistance. Le 1er septembre, dans la maison de ses parents, il fonde le premier groupe de résistants du Limbourg, « Verzameling » (rassemblement). Ils adhèreront plus tard au Front de l’indépendance (FI, mouvement de la Résistance belge fondé par des communistes) et, les années suivantes, ils deviendront la terreur des mouchards et collaborateurs. Avec leur presse imprimée clandestinement, ils soutiennent le moral de la population. En 1941, sous leur direction, une grève est organisée dans les mines limbourgeoises. Mais, pour Max, la situation est devenue trop dangereuse et, recherché par la Gestapo (qui ne le trouvera jamais), il doit passer à la clandestinité.

 

Au PCF à Paris

A la recherche de travail – avec l’épisode de Louvain et l’éclatement de la guerre, il n’a pas pu terminer l’université –, il débarque à Paris en mai 1946. Dès son arrivée, il devient membre du Parti communiste français (PCF). Il travaille comme journaliste pour la radio française et s’occupe des émissions en néerlandais pour la diffusion à l’étranger. Dans ces « Émissions vers l’étranger », il y avait une cellule communiste à laquelle il s’était joint immédiatement. Il travaille pour des maisons de films et s’occupe des séquences d’actualités comme on en voyait jadis au cinéma avant le film. Cependant, il « adapte » régulièrement les commentaires des infos et prend pas mal de risques. « Dans les commentaires français, les résistants à l’occupation coloniale française de l’Algérie et du Vietnam (à l’époque l’Indochine) étaient invariablement appelés des «terroristes». Mais, dans les versions néerlandaises, je remplaçais ce mot par «vrijheidsstrijders» (combattants de la liberté). Ils ne l’ont jamais remarqué. »
    A Paris, il travaille comme un possédé, parfois deux jours d’affilée sans dormir. Avec l’argent qu’il gagne, il écume les antiquaires de Paris, et l’art devient sa nouvelle passion. Il commence à collectionner les œuvres d’art, les tableaux, meubles et objets anciens… Le résultat, époustouflant, est ce qu’il appelle, un peu moqueur, son « cabinet de curiosités ».
    Depuis vingt ans, il habite à nouveau son village de naissance, Wellen, avec sa femme Nicole. Sa maison est remplie de boîtes contenant des coupures de journaux des cinquante dernières années. En tant qu’encyclopédie ambulante, il est régulièrement sollicité par les professeurs d’histoire pour venir parler de la Deuxième Guerre mondiale et de la Résistance. Qu’il s’agisse d’élèves ou des syndicalistes, Max De Vries tient immanquablement son public en haleine. A plusieurs reprises, il a également témoigné devant les jeunes du Camp pour la paix.

 

Sur la liste du PTB+

Lorsque, mi-2012, je lui avais demandé s’il voulait figurer sur la liste du PTB+ pour les élections provinciales, sa réponse fut, comme toujours, affirmative. Du coup, il était le plus âgé des candidats de Belgique, ce qui a éveillé l’intérêt de la presse. Radio 2 (VRT) lui avait demandé pourquoi il figurait précisément sur cette liste-là. Réponse : « Pour moi, être sur une liste du PTB, c’est simplement poursuivre mon engagement. Le PTB est le seul parti qui défend les intérêts de la classe ouvrière, des travailleurs. » Et lorsque, quelque peu perfide, le journaliste lui objecte que le PTB n’est qu’un petit parti, il lui rétorque que « la classe des travailleurs est, elle, la plus grande partie de la population ».
    Pour Max De Vries, les six derniers mois ont été particulièrement chargés par les nombreuses séances de tournage d’un nouveau documentaire sur lui, en français cette fois. Lorsque je lui demande s’il tient encore le coup physiquement, il s’indigne et lance vivement : « Si tu veux que j’aille à nouveau parler quelque part, il faut absolument me le demander. Et tu ne dois certainement pas penser à mon âge ! »

Par Free Van Doorslaer






Stalingrad, l’événement le plus important du 20e siècle
Lorsque l’on demande à Max De Vries ce qui, selon lui, constitue l’événement le plus important du 20e siècle, la réponse est immédiate : la victoire de l’Armée rouge à Stalingrad en 1943. « Si les troupes de Hitler avaient alors gagné, explique-t-il, c’était le règne mondial du fascisme qui aurait pu devenir réalité. Parce qu’alors les armées allemandes auraient pu poursuivre vers le Caucase, vers Grozny et mettre la main sur les importantes sources de pétrole de Bakou. De là, cela aurait été un jeu d’enfant de s’approprier le Moyen-Orient. Les armées nazies y auraient été accueillies à bras ouverts, les peuples ne supportant plus la domination britannique. En outre, l’armée de Rommel était aux portes de l’Egypte et la jonction des deux armées aurait offert des possibilités stratégiques aux Nazis. Qui aurait empêché Rommel de poursuivre vers le sud à la conquête de l’Afrique ? Les Africains auraient pu prendre une revanche sur les coloniaux britanniques, français et belges. Et les armées allemandes, elles, auraient pu poursuivre sur le continent et rejoindre leurs amis fascistes du régime d’apartheid en Afrique du Sud. En Russie, après le Caucase, ils auraient pu traverser l’Oural et s’emparer des complexes industriels qui avaient été crées durant les plans quinquennaux. Ils auraient alors pu effectuer la jonction avec leurs alliés japonais en Asie de l’Est et du Sud-ouest.
Le monde entier, le Nouveau Monde excepté, aurait ainsi été aux mains d’un fascisme puissant et invincible. Qui aurait pu mettre fin à une puissance fasciste d’une telle ampleur ? »

« Je suis évidemment contre la N-VA »
Max De Vries était l’un des orateurs lors de la journée belge de la solidarité, action anti-séparatiste organisée par l’initiative citoyenne « Niet in Onze Naam/Pas en Notre Nom ». C’était le 7 mai 2011, époque où, par sa stratégie de pourrissement, la N-VA avait paralysé le pays pendant plus de 500 jours. Max: « Toute ma vie, j’ai été antifasciste. J’ai toujours combattu pour la liberté et pour l’unité de la Belgique. Je suis donc évidemment contre la N-VA et les séparatistes. »
     Il considère sa candidature sur la liste électorale du PTB+ en 2012 également comme une réponse au séparatisme et à la politique de crise : « C’est la première fois que je figure sur une liste mais, avec la crise actuelle, nous vivons un moment important dans l’histoire. Le PTB est le seul parti qui dit haut et clair que la crise doit être payée par ceux qui l’ont causée, pas par la population. »

source: http://www.ptb.be/nieuws/artikel/max-de-vries-le-resistant-et-eternel-rebelle-a-100-ans.html

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